🔶 Génération de chanteuses en breton

Pendant longtemps la part de chanteuses dans les fest-deiz et fest-noz était assez minoritaire, aujourd’hui encore on ne les entends pas assez et pourtant elles apportent une vitalité aux chants bretons, mais aussi à la musique bien sûr, tel que Koulma/Loeiza, très apprécié et applaudi, ou encore le duo Pourchasse-Ar gal qui ont joué dernièrement à notre Fest-deiz de Molac,

Koulma-loeiza
Koulma-loeiza

Un documentaire était sortie il y a quelques années sur ces femmes qui chantent, réalisé par Emmanuel Roy, « Avel en o blev ». Ce documentaire relatait le parcours de quatre jeunes chanteuses.

Chanteuses bretonne

Elles puisent leur inspiration dans la musique traditionnelle bretonne, mais toutes ont leur façon de chanter, d’appréhender le monde qui les entoure et de suivre leur étoile.

Morwenn Le Normand, l’institutrice devenue chanteuse

Chanteuses Morwenn LeNormand
La chanteuse Morwenn LeNormand

Je suis de Lorient, comme ma mère, mon grand-père… Presque toute ma famille est lorientaise. J’ai grandi à Locmiquélic.

Quand j’étais petite, personne ne parlait breton dans la famille. Mais il n’était pas loin. Un peu caché. Je l’ai donc cherché, puis trouvé. C’est quand j’ai commencé à l’apprendre
que j’ai découvert qu’il était dans ma famille. Mes grands-parents l’avaient encore dans un coin de leur tête. Mais comme dans de nombreuses familles, il avait été mis de côté et oublié.

J’ai commencé le breton à 17 ans, au lycée. Je suis ensuite allée à l’université, à Rennes, pour continuer mon apprentissage. J’ai fait un stage dans une école. La première fois que j’ai entendu des enfants parler breton, j’ai compris pourquoi il était important de continuer dans cette voie. Je suis devenue institutrice pour ça : travailler et parler en breton avec les enfants.

D’institutrice à chanteuse

Tous les ans il y avait de nouveaux projets dans ma classe. Le dernier était d’enregistrer un disque de jazz-swing. Je n’avais pas fait ce disque pour moi, mais pour les enfants. Il se trouve que Dan ar Braz l’a entendu. Et cela a marqué le début de notre collaboration. J’avais donc une vie à l’école et une vie dans la musique. Ce n’était pas simple de faire les deux. Un jour, on m’a demandé de choisir. J’ai donc choisi de changer de métier. Personne ne m’a encouragé pour faire ça. Tout le monde était soucieux. Mais je n’y ai pas prêté attention. J’ai décidé de faire ce dont j’avais envie. J’étais prête et quasiment sûre que c’était le chemin à suivre.

Momo Jouanno est la référence dans la région de Port-Louis et Locmiquélic pour apprendre le breton local. C’est très enrichissant de discuter avec lui pour apprendre le breton de Port-Louis, différent de celui de Lorient. Tous les musiciens du coin travaillent avec lui.

Avant d’avoir des enfants, je pensais qu’il était très simple de les élever en breton. Finalement, pas tant que ça. Quand tu as un bébé dans les bras, tu veux lui dire des choses que tu as entendues pendant ton enfance. Mais toutes les phrases qui me venaient étaient en français, rien en breton. Ma langue maternelle est le français. La langue du foyer est donc le français. Quand je vois la difficulté pour trouver des gens avec qui parler breton tous les jours, quand je constate que je n’ai pas réussi à faire entrer le breton dans ma famille, alors que j’en avais envie, je me sens triste et déçue pour la langue bretonne. Je ne suis pas une militante. Il y a des gens qui le font très bien, qui descendent dans la rue pour dire tout ce qui ne va pas dans le monde. Je ne suis pas comme ça. J’ai une envie profonde d’écrire et de chanter en breton. Chanter des choses très différentes mais qui sont liées malgré tout par la langue bretonne.

Maurice Jouanno, Kanaer ha kelenner brezhoneg

Le chant est très important pour l’avenir de la langue bretonne, pourvu qu’il soit bien chanté et prononcé. Morwenn a un style jazzy qu’on n’entend pas tant que ça chez les autres jeunes chanteuses. De tout temps, la musique a emprunté des sonorités venues d’ailleurs. Et il faut justement s’approprier des styles musicaux qui ne soient pas bretons, pour rester modernes.

Gaël Lorcy, femme des chants populaires

Chanteuses Gael Lorcy
Gael Lorcy (photo Eric Legret)

Je suis née et j’ai grandi à Pontivy. Et j’habite encore à Pontivy. Petite, je me sentais différente. Mes amis écoutaient Goldman, Bruel… Je les connaissais de nom mais je n’écoutais pas ces chanteurs. Moi, c’était Marsel Gwilhou, Sonerien Du, Tamlez, le groupe Pevar… Des musiciens et des chanteurs bretons mais peu de chanteuses.

Je n’ai pas été élevée en breton. Mais j’avais l’habitude d’entendre parler breton dans la famille de ma mère. Elle nous disait quelques mots en breton. Des mots simples du quotidien. « Venez vite », « Allez vous coucher », etc.

Chanteuse professionelle

Quand mes parents ont compris que j’allais abandonner l’enseignement pour le chant, ils ont eu peur. Et aujourd’hui encore, ils ne sont pas tranquilles. Et c’est vrai que ce n’est pas toujours simple financièrement. Mais quand on le sent bien, il faut se lancer. J’essaie en tout cas, on verra bien.

La culture bretonne a toujours eu une place à part dans ma vie. J’ai toujours chanté et dansé. Ma mère chantait dans les festoù-noz, j’ai donc toujours vécu dans ce monde. Je suis devenue chanteuse professionnelle petit à petit, pas du jour au lendemain. J’ai commencé par enseigner l’anglais. Ensuite j’ai enseigné dans une école bilingue français-breton. Mais je sentais qu’il fallait que j’aille plus loin dans le monde du chant. J’ai alors téléphoné à Erik Marchand. Il m’a demandé pourquoi je ne m’étais pas inscrite à sa formation, la Kreiz Breizh Akademi.

J’essaye toujours d’améliorer ma façon de chanter. J’adore quand on retrouve l’esprit d’une langue et d’une culture à travers le chant. Je me sens à un carrefour. En tant que bretonnante et en tant que chanteuse. Entre le monde moderne et celui des anciens. J’ai commencé par l’enseignement. C’était donc naturel d’enseigner le breton. Enseigner le breton est une manière de transmettre ce que j’ai appris. Et ce que j’apprends encore. Je fais la même chose avec le chant. Chanter, c’est aussi transmettre. Une langue et une culture.

Erik Marchand (qui a aidé plusieurs chanteuses)

La Kreiz Breizh Akademi a pour objectif de montrer aux stagiaires ce qu’est la musique traditionnelle bretonne, chantée et arrangée de façon modale. La musique modale est une manière un peu différente de considérer la musique. C’est un style prisé dans les pays orientaux. Et on chante en modal depuis longtemps en Bretagne. Gaël est une chanteuse très intéressante. Elle vient d’une famille de chanteurs et c’est aussi une jeune femme moderne. Elle aime écouter les anciens chanter et proposer du neuf sur scène. C’est très important à mes yeux.

Faustine Audebert, la chanteuse du kan ha diskan

Chanteuses Faustine Audebert
Chanteuse Faustine Audebert

Je suis née à Rennes et j’ai grandi pas loin, à Pont-Réan. Mes parents avaient des goûts éclectiques.
Jazz, folk, blues, rock… À neuf ans, j’ai demandé un piano pour apprendre. Cet instrument me passionnait. Je suis allée au conservatoire de Rennes. Le piano a pris une grande place dans ma vie.

La culture bretonne était absente à la maison. Nous ne sommes jamais allés en famille à un fest-noz ou à un concert en breton. Les gens autour de moi parlaient français et un peu gallo. Mais je n’avais jamais entendu de breton. À l’âge de 15 ans, j’ai trouvé un vieux disque vinyle chez mes grands-parents. « Chemins de terre », d’Alan Stivell. Je l’ai beaucoup écouté à l’époque. Les légendes de Brocéliande me fascinaient. J’ai une fée tatouée sur l’épaule.

Pour moi, les légendes bretonnes ont un lien fort avec la musique. C’est en étudiant la musicologie à l’université de Rennes que j’ai rencontré des musiciens de fest-noz. Je me suis mise à chanter. C’était difficile d’apprendre toutes les paroles d’une gavotte mais le breton et sa musique m’attiraient. Ça sonnait comme du blues. J’ai donc décidé d’apprendre le breton pour pouvoir écrire en breton mais aussi discuter.

Oui, le breton était une nouveauté pour moi. C’est amusant, la manière dont j’y suis arrivée.

J’ai déménagé pour me rapprocher de la musique de Basse-Bretagne ainsi que du breton, pour pouvoir le parler avec les gens. Dans le Centre-Bretagne, j’ai beaucoup travaillé avec Erik Marchand, et la Kreiz Breizh Akademi. J’y ai beaucoup appris. Des choses qu’on n’apprend ni à l’université, ni au conservatoire. La musique modale, les rythmes impairs, trouver sa place dans un grand orchestre… Trouver mon propre son.

Je ne sais pas ce qu’est la tradition, finalement. Par exemple, les modes du XIXe siècle devaient paraître novatrices pour les gens nés au XVIIIe. La tradition est un concept difficile à expliquer, car elle change en permanence. Quand on parle de musique traditionnelle, on parle d’une musique attachée à une société agricole, où les gens vivaient toute leur vie dans la commune où ils étaient nés. Aujourd’hui, ça ne se passe plus comme ça. C’est important de bien connaître le répertoire traditionnel pour aller plus loin.

Nouveau départ

J’ai habité le Centre-Bretagne pendant quatre ans. À la fin, je me sentais un peu enfermée dans cet univers qui parlait breton et qui jouait de la musique traditionnelle. J’envisageais déjà de lancer mon projet « Faustine » en anglais. Je ne pensais pas possible de le faire en restant dans le Centre-Bretagne. Ce n’est sans doute pas vrai, mais c’est ce que je pensais. J’ai donc déménagé à Brest. J’avais besoin de changement, d’un endroit où personne ne me connaissait. Incognito. Brest est une ville vraiment rock’n’roll. C’est aussi un port, donc forcément il y a ici une ouverture sur le monde et les autres cultures, un côté « cosmopolite ».

« Faustine » est le nom du groupe que j’ai créé en arrivant à Brest. Je voulais jouer ma musique à moi. On me collait l’image d’une chanteuse traditionnelle, or je suis plus que ça. Je sais lire et écrire la musique, je sais jouer, je sais chanter. J’ai commencé à chanter à 15 ans avec des chansons folk en anglais. Je voulais revenir au chant en anglais, car cette langue apporte une musicalité différente. J’en ai besoin aussi.

J’ai besoin de la musique depuis que je suis toute petite. Quand je chante, je me sens vivante. J’ai appris le breton après avoir entendu des gens chanter en breton et avoir trouvé ça magnifique. Ce qui me manquerait si je devais arrêter de parler ou de chanter en breton, ce sont ces gwerz et chansons que j’adore et la musique de cette langue.

Rozenn Talec, la chanteuse fille de son père

Chanteuses Rozenn Tallec
Rozenn Tallec

Quand j’étais petite, mes grands-parents et mes parents parlaient en breton. Ils ne voulaient pas que les plus jeunes comprennent certaines choses. Assez vite, j’ai voulu comprendre. Apprendre le breton était pour moi apprendre la langue de la famille. J’y suis arrivée très vite car j’avais déjà tout dans l’oreille. Depuis que j’ai fait le choix de parler breton dans ma vie quotidienne, mon père me parle breton. Et ma mère change de langue aussi petit à petit. C’est venu naturellement, mes parents
étaient heureux que je fasse ce choix-là.

J’ai toujours entendu mon père chanter du fait qu’il se produisait tous les samedis dans les festoù-noz. Je l’ai souvent accompagné. J’ai le souvenir de jouer, de courir dans la danse, et d’apprendre à danser aussi. J’étais parfois si fatiguée que je m’endormais sur les manteaux des gens, près de la scène, en attendant le moment de rentrer. J’ai eu envie de chanter vers l’âge de 10 ans. J’ai commencé par répéter ce que chantait mon père. Je suis montée la première fois sur scène lors d’un petit fest-noz à Trébrivan. J’avais 14 ans. J’ai trouvé ça beau, deux personnes faisant danser les gens grâce à leur voix.

J’ai pensé : « Je fais danser les gens ! C’est beau ! »

Kreiz Breiz Akademi

J’ai décidé de devenir chanteuse professionnelle à la Kreiz Breizh Akademi. J’y ai rencontré des chanteurs albanais, Ibrahim Maalouf qui vient du Liban, un tas de gens qui ont une connaissance du chant populaire de leur pays. Cela m’a nourrie, a influé sur ma façon de chanter et m’a convaincue de continuer à chanter en breton. Continuer avec ce qui m’a nourrie depuis toute petite. Sans le breton, je ne serais sans doute pas chanteuse. Cela me plaît d’être influencée par les musiques du monde, par d’autres langues, mais pour que je puisse continuer, moi, avec la langue d’ici. J’ai eu la chance de travailler avec Marthe Vassalo pendant deux ans. Les chanteuses ont travaillés sur la technique vocale. J’ai vu jusqu’où je pouvais aller avec ma voix. Mais nous n’avons pas chanté ensemble en breton. Nous avons travaillé sur le chant classique, inconnu pour elle.

La langue bretonne

Beaucoup voudraient plus de place pour le breton dans la vie publique. Du breton écrit dans les services publics, sur les routes… Le collectif Ai’ta pratique la désobéissance civique pour attirer l’attention des gens et des politiques sur la place du breton. Je suis très proche de ce mode de combat. Le choix de vivre et travailler en breton est déjà une sorte façon de militer. C’est ma manière de montrer que la langue est encore vivante. Pour que la culture et la langue vivent, il faut mettre les jeunes dans le coup. Donner envie aux jeunes. Lier la langue au plaisir.

Pour moi, la musique populaire perdure. Elle est transmise de génération en génération, même si la langue évolue un peu. Ce qui nous a été transmis est important. Ce que l’on en fera aussi. Si un jour je devenais maman, j’aimerais que la transmission continue. Et d’abord, transmettre la langue. Je parlerais breton à mes petits. Mes parents m’ont donné une richesse. Je continuerai avec mes enfants ou d’autres. De transmettre et de donner envie.

Marthe Vassalo, Kanerez

Une voix est comme une grande ville, avec beaucoup de quartiers. Beaucoup de gens ne connaissent pas la ville entièrement, c’est presque impossible. Mais il est possible d’en connaître une partie. Surtout, une fois plusieurs quartiers connus, il est possible d’aller et venir entre eux et de se souvenir dans l’un de ce qu’on a vu dans l’autre.

L’association Andon organise des cours de chants en breton, chanteuses ou chanteurs en herbe si vous êtes intéressés, contactez nous.

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